CANTUS, pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussion et piano (2006)

Hommage à Georges Perec
Commande de l’Etat Français/Ministère de la culture pour le festival Musica

À Françoise Kubler et Accroche Note

Utiliser la voix implique souvent l’utilisation d’un texte. Et l’on sait que le compositeur, pour se l’approprier, le maltraite au risque de le rendre incompréhensible. Il reste alors - et ce n’est pas rien - l’influence de sa structure sur la forme musicale. Pour ma part, je n’ai pas souhaité me livrer à un travail de « réorganisation » d’un texte préexistant que je craignais de trop malmener.

Dans cette pièce, Cantus, la partie vocale n’a donc pas été écrite à partir d’un texte. Elle est extraite de polyphonies à caractère instrumental, canons rythmiques organisés à partir d’un cantus firmus simple et repérable. La partie vocale est, selon la situation, le cantus firmus lui-même, ou bien l’une des parties en imitation ou en canon extraite de la polyphonie. J’ai donc écrit le texte a posteriori, en fonction de la ligne mélodique obtenue.

La chanteuse est ici en observatrice. Elle décrit de manière « topologique » les transformations, les dérives de la musique qui est en train de se dérouler. Le texte est une sorte de «  mode d’emploi » (écrit après la composition) dont le caractère poétique ne se dégage que lorsqu’il est chanté et que la pièce est réellement jouée. À titre indicatif, je vous livre ici les premières lignes de chacune des quatre grandes parties constitutives de l’œuvre :

I
Evider la ligne
Accentuer les sons
Préciser le sens
Prononcer le mot : élargissement.

Elaguer la phrase
Révéler les sons
Divulguer le sens
Propager le mot : épanouissement

II
Ne pas bousculer le tracé des lignes encore imprécis
Respecter le fil qui se tend, qui s’étire entre les points
Observer la courbe qui s’ordonne, suivre son dessin (…)

III
Synchroniser les points,
superposer le dessin
Répéter à loisir le motif
Enoncer la clé, le cantus
Verticalisation,
Mutation du profil

IV
Prendre son envol - peu de temps -
Regagner le champ

Tentative d’emprunter une autre direction
Un chemin harmonique
Privé de toute relation

Pour décrire brièvement la forme de l’œuvre, je dirais que la première partie est une juxtaposition de moments instrumentaux énergiques, librement écrits à partir du cantus - éclats, jaillissement, souffles, bruits… - et de courts canons rythmiques durant lesquels le cantus se transforme en un motif neutre, sorte de gamme ascendante ou descendante. La voix commence alors à « observer » et décrire les « opérations musicales ». Durant cette première partie, les canons s’épanouissent quand les parties libres se réduisent peu à peu.

Dans la seconde partie, la voix, telle une longue mélopée lointaine, est « harmonisée » par de longs timbres colorés. Cette longue mélodie est interrompue par des moments libres, brillants et virtuoses. Ces inserts volontairement contrastés concourent à donner ainsi la même impression de juxtaposition de moments contraints et libres rencontrée dans la première partie de l’œuvre. En accélérant, la longue mélodie changera de caractère et deviendra très rythmique et étouffante. La chanteuse, cherchant l’air qui lui manque, dira dans un grand crescendo :

Puis changer de cap, évider
Elaguer la phrase, ciseler
Ecourter les sons, préciser
Dévoiler le sens, prononcer
Enoncer le mot : respirer

Ce court extrait renvoie au début de la première partie de la pièce. Tout se passe comme si l’on achevait un véritable cycle de transformations qui se serait retourné sur lui-même.

La troisième partie et constituée de quatre variations mettant en valeur l’aspect homorythmique, avec une forte allusion au choral. Peu à peu, la musique se resserre, se compresse et l’espace donné à la voix se restreint, l’obligeant à décrire le plus rapidement possible les transformations musicales, le débit de la voix et les phrases instrumentales créant ainsi un seul timbre.

Enfin, la dernière section de l’œuvre est un long canon qui se transforme en une « onde sonore » repérable :

Profil qui se brise comme une vague
et se stabilise enfin dans l’espace fixe de l’accord

Du début à la fin de ce canon, un objet incongru et récurrent (dont nous ne dévoilerons pas ici la nature) ,apparaîtra périodiquement, brisant toute tentative de processus linéaire. Cet objet, analysé spectralement, servira de modèle harmonique à chaque nouveau départ du canon. Il viendra ainsi se poser en borne pour l’auditeur - imposant ainsi sa force poétique - et empêchera que la ligne de la voix ne prenne une direction trop prévisible.

Ligne fine,
engloutie brusquement par l’objet récurrent

Affirmer sa route malgré lui, préciser le dessin (.…)

Philippe Hurel

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